Une chambre* à soi numérique

En 2019, j’avais commencé un brouillon avec pour titre « Le blog, une chambre à soi » ; encore très inspirée par la lecture de A room of one’s own et de Chez soi.

Le blog, un espace à soi

Trois ans plus tard, je me demande si l’image de la chambre à soi1 est toujours la plus pertinente pour désigner mon rapport au blog. Je tiens un blog depuis le lycée. Ma pratique a évolué au fur et à mesure avec l’âge bien entendu. Certains aspects néanmoins me semblent avoir traversé le temps.

S’il s’agit bien d’un espace personnel qui m’est propre, où je peux m’épancher, déposer des bribes de réflexion et y revenir plus tard ; la chambre invite à la retraite, loin des autres. Or, je recherche quelque chose de plus. Même si celles-ci se font plus rares, je vois encore mon blog comme un espace propice aux rencontres fortuites, où soudain mes propos résonnent chez d’autres. Et inversement.

Je vois mes billets comme des bouteilles à la mer, le désespoir en moins (quoique), ou, l’équivalent aérien, des ballons avec un message2. Des graines jetées au vent avec la curiosité (l’espoir ?) de voir s’il en sortira quelque chose.

J’y cherche ces étincelles de compréhension, de complicité qui me semblent si rares et précieuses entre humains, mêmes proches. Une connexion. Longtemps, je n’ai pu dire les choses que par écrit. Les mots même les plus douloureux devenaient alors plus légers, moins réels. Le blog, comme passerelle vers autrui (et peut-être avant tout vers soi).

Tenir un blog me pousse à extirper mes pensées, réflexions et sentiments et à les transformer en mots bien plus que ne le ferait un journal intime ou un carnet. Parce que public, le tout doit être à peu près intelligible et cohérent. Il m’est bien plus difficile d’écrire uniquement pour moi, sans la médiation du blog3.

Lors de l’incendie des datacentres d’OVH, je me suis demandé ce que ça m’aurait fait de perdre mon blog comme Balibulle4. Je ne sais toujours pas. Sans doute que je m’en serai voulu de ne pas avoir effectué une sauvegarde ou de ne pas l’avoir testée. Peut-être aussi que comme pour tous les autres blogs que j’ai eus, je passerai simplement à autre chose.

En attendant, je suis contente de le savoir toujours là, à portée de mains, quand j’en ai besoin ou envie.

Formats alternatifs

À cause de l’importance du format blog pour moi, je regrettais dès l’apparition de Facebook que la majorité se détourne du blog (skyblog) pour des formats plus courts, plus instantanés qui me conviennent assez peu.

Évidemment, l’arrivée de Twitter, d’Instagram puis plus récemment des newsletters fermées n’a fait qu’accentuer les choses.

Je trouvais vraiment dommage que les gens abandonnent leur espace pour des plateformes privatives et fermées. J’ai compris cependant que ces réseaux et outils peuvent être libérateurs.

Tant de personnes peuvent désormais s’exprimer, se trouver et faire communauté. C’est le cas avec Twitter pour de nombreuses personnes handicapées ou malades chroniques par exemple.

Nul besoin de penser à l’aspect technique des choses notamment, mais ce n’est certainement pas la seule raison. Dans son entrée Bloguisme, David Larlet en suggère d’autres.

Vous connaissez cette injonction à « ouvrir un blog » dès qu’un _thread_ Twitter fait plus de trois phrases. J’accepte de plus en plus que les personnes puissent être davantage à l’aise pour écrire dans un environnement où il y a leur(s) communauté(s) et leurs habitudes d’énonciation (mème, etc).

Sur le sujet, j’ai aimé écouter Mai Hua qui échangeait avec Géraldine Dormoy sur sa relation à son blog et à Instagram.

Il n’y a pas de transcription, alors je cite les passages en lien direct avec le sujet, mais je vous invite à écouter l’entretien en entier.

« J’étais très très attachée à mon blog. C’est un autre temps, un temps qui est plus lent, qui est plus long, avec une administration aussi qui est beaucoup plus lourde. […] Instagram me permettait d’avoir une très grande légèreté de publication. On prend sa photo, on met sa légende et puis c’est fait. Un blog, il faut prendre une photo, mais il faut la cropper à la bonne dimension, mettre les vignettes dans une autre dimension et la troisième vignette dans une autre dimension encore.

Elle y parle également de communauté, de découvertes et d’échanges.

Tout cela est précieux, même si, en fonction d’où l’on se place, on peut estimer que le prix (vie privée, économie de l’attention, dépendance à une plateforme) à payer est élevé.

Avec le recul, il m’apparaît évident que tout le monde ne veut ou ne peut pas forcément être « propriétaire » d’un chez soi numérique. Qu’il peut être plus simple de déménager de plateforme en plateforme.

J’aimerai tant que les personnes qui font le web soient en mesure de proposer des outils plus simples, plus conviviaux et accessibles5. Quelque chose que l’on peut installer sur un hébergement mutualisé, sans Docker et cie.

J’essaie très modestement d’y contribuer (sur la partie accessibilité numérique) et de partager sur le sujet. J’aimerai pouvoir plus soutenir les personnes qui aimeraient se lancer.

En reprenant peut-être mes projets de billets sur un chez soi numérique ou en hébergeant des sites / projets chez moi ? Je me méfie néanmoins de cette deuxième solution, car je ne veux pas remplacer une dépendance par une autre.

Un nouvel essor des sites indépendants ?

Mes lectures me biaisent sans doute, mais j’observe depuis quelques années, un nouvel essor des blogs6 et sites indépendants et un retour aux flux de syndication, du moins, dans le milieu web.

L’appel de Laura Kalbag, It’s Time to Get Personal à recréer des espaces indépendants et interconnectés sur le web résonne particulièrement fort chez moi.

Dans la même veine, on peut lire Make it Personal. Plus personnel, le rapport de Marie à son blog.

Nombreuses me semblent être les personnes qui ont rouvert leur espace et qui cherchent à faire des connexions avec d’autres espaces en remettant à l’honneur la blogroll. Par exemple, chez Hidde de Vries où j’ai découvert le projet personalsit.es.

D’autres agrègent les contenus de leurs réseaux sociaux chez eux, comme Charlotte Moreau (Balibulle) qui republie ses contenus Instagram sur son blog ou Charlie Owen une partie de ses tweets.

Quant aux flux RSS, on ne manque pas d’outils. J’utilise pour ma part Inoreader dont je suis très satisfaite. Et j’ai découvert que l’on peut proposer une prévisualisation de flux sympathique et lisible.

Je me réjouis de voir les différentes façons dont chacun s’approprie un espace à soi (marques-pages, wiki personnel, bibliothèque numérique, blog, galerie photo, etc.), public ou non. J’espère voir le web indépendant se développer et perdurer.

Et si vous souhaitez écrire et que vous n’osez pas, je vous rappelle les mots de Virginia Woolf dans A room of one’s own.

Test.

So long as you write what you wish to write, that is all that matters; and whether it matters for ages or only for hours, nobody can say. […] I find myself saying briefly and prosaically that it is much more important to be oneself than anything else.


  1. (Ajout du 17 août 2021) En lisant Histoire de chambres de Michelle Perrot, l’évidence… Le mot anglais room signifie à la fois une chambre et l’espace que l’on occupe physiquement et, mentalement, celui que l’on tient dans la pensée d’autrui. Autrement dit, le titre anglais contient un double sens, intraduisible en français. ↩︎

  2. Malheureusement, ces pratiques, si elles sont poétiques, sont polluantes. ↩︎

  3. À tel point que pendant longtemps, il m’était impossible d’écrire ailleurs que dans l’éditeur de Dotclear. Aujourd’hui encore, je rédige souvent mes billets directement dans le CMS. ↩︎

  4. Bien sûr, ça ne peut pas arriver, car j’ai des sauvegardes à jour, n’est-ce pas ? ↩︎

  5. Les alternatives libres sont malheureusement souvent complètement inaccessibles pour les personnes handicapées qui ne peuvent donc pas se les approprier. ↩︎

  6. Même les entreprises opèrent un retour au blog ; la rédaction de contenus faisant partie des nouvelles stratégies marketing. ↩︎

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