Donner envie sans trop en dévoiler, un art difficile.
J’écris en fin de compte très peu de billets sur les livres que je lis. On peut compter les billets consacrés à mes lectures sur une main… Le dernier en date concernait le roman de POC (Donjon de Naheulbeuk). Disons le aussi, je lis beaucoup moins qu’avant ou plutôt je lis beaucoup moins de livres, je continue quand même à avaler des mots au kilomètre. Ce n’est pas l’envie qui me manque de partager mes lectures mais je me sens très souvent dépassée par l’œuvre et je ne peux pas me résoudre à publier un billet que je considère trop souvent comme simpliste et réducteur mais d’un autre côté, je n’ose pas toujours entrer dans les détails de peur de gâcher le plaisir de la découverte.
Écrire sans retomber constamment sur le format synopsis/avis, c’est ce que j’aimerai arriver à faire.
Alors, peut-être que je n’atteindrai jamais cet idéal mais ce n’est pas en m’abstenant que j’y arriverai mieux et puis comme on dit fit faber fabricando [1], si je n’écris pas régulièrement, je ne risque pas de me réveiller avec un style personnel et fort un beau jour comme ça. Dans le même esprit, j’aime beaucoup la citation de R. Char découverte grâce à Bambou (Lamparo) : “L’impossible, nous ne l’atteignons pas, mais il nous sert de lanterne.”
Lire de la fantasy…
… et ne pas s’en cacher, notamment lorsqu’on fait des études littéraires (mais ça s’applique aussi au monde universitaire en général), révèle l’idiotie profonde de certains et leur intolérance envers ce qui ne rentre pas dans leur moule préconçu.
Inutile de préciser que j’ai en horreur ces gens qui disent sur un ton dédaigneux ou moqueur “Oh, tu lis de la fantasy ? Tu ne crois pas que ce n’est plus de ton âge ?”, “La fantasy ? Ce n’est pas de la vraie littérature.[2]” ou encore “Tu ne crois tout de même pas aux elfes, nains, dragons et compagnie ?”.
NON, la fantasy n’est pas un genre réservé aux enfants, aux adolescents prépubères ou à la caricature qu’est le geek à lunettes boutonneux qui collectionne des figurines Warhammer.
NON, ce n’est pas une sous-littérature.
ET je crois aux elfes, nains, lutins et dragons, si j’ai envie ! Ouuf, ça fait du bien.
Et donc ce livre ? J’y arrive, j’y arrive.
Les premières lignes de la saga A Song of Ice and Fire, ou Le Trône de Fer en français, nous plongent dans un environnement hostile et froid, l’au-delà du Mur, édifice gigantesque qui protège les Sept Couronnes - où l’on a cessé de croire en la magie et où les dragons et autres créatures surnaturelles ne survivent qu’à travers les récits de vieilles nourrices - des sauvageons et d’une menace oubliée et plus terrible encore… Pendant ce temps, à la Cour, les intrigues et complots se succèdent pour le Trône de Fer, symbole du pouvoir.
G.R.R Martin conjugue dans son œuvre fort réalisme et fantasy.
Ne serait-ce les allusions aux êtres étranges au-delà du Mur et les sombre-loups recueillis par la famille Stark, on oublierait presque qu’il s’agit de fantasy, tant l’intrigue se concentre sur les fascinantes et complexes luttes de pouvoir qui se déroulent dans le royaume et qui le conduisent à une nouvelle guerre civile, inspirée de la guerre des Deux-Roses. Au fil des volumes, le lecteur découvre les noirceurs de la guerre et les règles de ce sanglant jeu qu’est celui du Trône de Fer. Honneur, devoir et honnêteté ou violence, fourberie et trahison, choisissez vos armes ! Il est également amené à s’interroger sur les qualités requises à un chef ou à un souverain et sur la meilleure manière de gouverner, questions centrales tout au long de la saga. Amateurs de science politique mais aussi de géopolitique, cette saga est faite pour vous !
La magie et le surnaturel gagneront progressivement en importance seulement par la suite.
L’auteur a, je trouve, utilisé ces deux paramètres de manière intelligente. Au lieu de faire d’en faire des éléments quotidiens des habitants de Westeros, la magie et le surnaturel sont d’abord introduits dans des contrées lointaines et inconnues : l’au-delà du Mur et le continent est, séparé par deux mers des Sept Couronnes. Qui, en Westeros, irait croire les récits des marins connus pour exagérer et enjoliver leurs récits ou ceux de la Garde de la nuit, méprisée, moquée et composée désormais essentiellement de voyous et de brigands ? Le chaos et la confusion, qui résultent de la guerre civile, contribueront ensuite à dissimuler aux principaux joueurs le rôle important - mais pas forcément décisif - de la magie et du surnaturel dans la suite des événements. [3]
Une narration subjective multiple.
Autre aspect original de l’œuvre de G.R.R Martin, le choix d’un récit polyphonique et subjectif. L’intrigue est ainsi éclatée entre les différents points de vue des personnages/narrateurs qui offrent des informations supplémentaires ou une interprétation divergente sur certains faits qui évite de faire sombrer la saga dans le manichéisme tout en la complexifiant. Cette approche permet également à l’auteur de renforcer le caractère mystérieux des personnages non narrateurs tout en approfondissant la personnalité des personnages/narrateurs. C’est un style d’écriture qui me plaît énormément bien qu’il soit parfois frustrant de devoir passer à un autre point de vue en plein suspens.
Des femmes et des enfants.
On pourrait penser qu’une guerre n’est pas un endroit pour les enfants et les femmes et que donc les hommes soient surreprésentés dans le récit. Il n’en est rien. Au contraire, nombreuses sont les femmes qui ne se contentent pas du rôle classique d’appareil reproductif ornemental que les hommes s’échangent à des fins politiques et la saga montre les difficultés qu’elles rencontrent à se faire respecter dans un monde dominé par les hommes.
L’auteur n’épargne pas les enfants, autres victimes privilégiées de la guerre, privés de la protection des adultes et dépouillés de leur innocence ; ils survivent tant bien que mal tout en apprenant à devenir adulte. Mais tous ne se laissent pas trimballer par les événements et cherchent à être maître de leur destin. D’ailleurs, certains “héros” de la saga sont à peine sortis de l’adolescence (Daenerys, Robb ou encore Jon par exemple).
En plus des femmes et des enfants, on a occasionnellement des points de vue de personnages de basse extraction sociale, simples pions sur les échiquiers des grands. A travers eux, G.R.R. Martin révèle les sombres et sordides aspects de la guerre alors que les points de vue masculins (et nobles) se concentrent plus sur la stratégie ou la gloire personnelle notamment.
Pour ceux qui n’accordent pas ou peu d’intérêt à l’édition de leurs livres, vous pouvez aller directement à la conclusion.
Je n’aime absolument pas la politique éditoriale de Pygmalion qui ne respecte pas le découpage originale de l’auteur ce qui me ferait vous conseiller l’édition J’ai Lu qui réunit les trois romans édition VF en un (comme en VO). Je ne sais pas si la traduction est de qualité (certains commentaires sur Amazon laissent apparaître que non) mais quand on ne peut pas lire en anglais, c’est toujours mieux que rien !
Côté VO, les livres de poche chez HarperVoyager (éditeur anglais) ou Bantam (éditeur américain) sont d’une qualité assez médiocre (le papier notamment) mais ont le mérite d’être relativement peu chers et en ce moment, avec le buzz créé par la série, vous devriez pouvoir trouver les 4 premiers tomes pour une vingtaine d’euros ou légèrement plus.
Mon coup de cœur ? L’édition reliée de chez HarperVoyager qui est tout bonnement magnifique (et pas donnée non plus…) et que je conseille vivement à tous les fans de la saga. Elle vaut vraiment le coup si vous êtes amoureux de beaux livres même si elle n’est pas de la qualité de l’édition reliée, chez le même éditeur, du Seigneur des anneaux. Regardez du côté d’Amazon.co.uk, c’est souvent moins cher, frais de port compris, que du côté français.
En guise de conclusion…
A Song of Ice and Fire est une saga épique de très grande qualité à l’intrigue (ou je devrais plutôt dire des intrigues) haletante et dotée de personnages riches et complexes [4] .
Son seul défaut est d’être une saga encore en cours !
Il reste deux tomes (voire trois) à paraître et le rythme de parution est extrêmement long. Je vous conseillerai de lire les trois premiers tomes sans hésiter (A Game of Thrones, A Clash of Kings et A Storm of Swords) mais peut-être d’attendre avant de vous lancer dans A Feast for Crows et A Dance With Dragons qui sont des romans de transition assez frustrants [5] vers une fin qui promet beaucoup.
Ce billet n’était qu’une maigre tentative de présentation de l’œuvre gigantesque de G.R.R Martin mais qui j’espère vous aura donné envie de la découvrir. Pour ceux qui ne la connaissent pas encore, la série est également pas mal du tout : très bon casting pour la plupart des personnages et une belle B.O. que je vous invite à découvrir.
Notes
[1] “C’est en forgeant que l’on devient forgeron”, l’exemple répété sans cesse en cours de latin pour illustrer le gérondif. Je digresse un peu, mais donnez l’opportunité à votre enfant d’essayer le latin ! Sans le forcer, ça va de soi. Mais vraiment, le latin, c’est BIEN !
[2] Soit dit en passant, celui qui est capable de m’expliquer ce qu’est la vraie littérature, je suis toute ouïe.
[3] Et j’attends avec impatience de voir ce qui se passera quand ils le découvriront !
[4] L’auteur a fait un excellent travail de caractérisation. Très peu voire aucun personnage superficiel et creux à mes yeux.
[5] Notamment parce que nombreux sont ceux qui craignent une parution dans deux ou trois ans et qu’en attendant de nombreuses questions restent en suspens.
1 De la souris -
Si je ne lis pas de fantaisie, ce n’est pas que je méprise le genre, c’est qu’il me fait un peu peur avec son avalanche de noms de personnages, de noms de lieux, de noms de créatures, de noms de mondes et d’univers…
2 De Llu -
Ça je peux comprendre (et je crois me souvenir que tu me l’avais déjà dit ou que tu l’avais sous-entendu du moins).
Je ne sais pas trop comment je fais pour retenir les noms. Dans la vraie vie, je suis assez mauvaise à ce jeu là mais j’ai jamais eu de mal à retenir tous les personnages et les noms de créatures dans une œuvre.
Par contre, je t’avouerai que contrairement à d’autres que j’admire, j’ai un peu plus de mal avec la géographie des lieux même si je mentirai en disant que je n’arrive pas à retenir et distinguer les noms des lieux.
Du coup, comme je n’ai jamais eu de mal, je serai peut-être de mauvais conseil mais je pense que ce n’est pas très important de connaître sur le bout des doigts les noms des personnages ou des lieux pour apprécier l’œuvre.
C’est comparable aux Rougon, à la Comédie humaine ou à La Recherche en termes de personnages, lieux… (sauf que pour le coup, j’ai jamais réussi à tout retenir).
Seulement les noms sont un peu plus exotiques.
Ne te laisse pas intimider si tu veux essayer ! Et puis au pire, peut-être que la fantasy n’est tout bonnement pas ta tasse de thé.
Si un jour il te prend l’envie d’essayer, je conseille évidemment :
Y’a énormément de sagas de bonne qualité que je ne connais pas encore, parmi celles que je n’ai pas lu, si tu aimes les dragons, il faut lire
EragonAnn McCaffrey et La Ballade de Pern.J’espère que je t’ai pas fait fuir avec cette liste !
P.S. concernant tout autre chose : Je ne connais personne (ou presque) au Paris Carnet et je compte tout de même courageusement m’y rendre. Ça te dirait pas de passer ?
3 De La Dame -
Alors déjà, chapeau pour ce billet, ce n’était pas une mince affaire que d’en écrire un sur ce sujet qui soit capable de présenter un univers aussi complexe, tout en ne dévoilant rien de crucial mais en donnant tout de même envie de lire la série.
Je plussoie pour ta liste d’ouvrages conseillés, par contre, j’ai un cas de conscience avec “La Compagnie Noire”. C’est une série assez exigeante, surtout dans les premiers chapitres (le nombre de lecteurs de fantasy/SF qui ont lâché l’affaire à ce moment là….), mais qui je pense, peut parfaitement convenir à un lecteur habitué à des ouvrages qui ne sont pas faciles.
Comme entrée en matière, ça peut être excellent.
A contrario, Robin Hobb, bien que très sympathique, a une œuvre plus récréative. Mais comme le premier cycle de L’Assassin Royal reste un grand numéro du genre dont le rythme soutenu accroche dès les premières pages, c’est peut être ce qu’il y a de plus soft tout en restant dans une certaine qualité pour attaquer la fantasy.
Le Marion Zimmer Bradley, c’est “Les Brumes d’Avalon”. Un peu comme “Le Cycle de Pern” de Anne Mc Caffrey, je trouve qu’il a mal vieilli. Pour avoir relu récemment “Pern”, j’ai été extrêmement déçue par le manque de cohérence dans le traitement des dragons et l’aspect un peu niais que l’ensemble prend parfois.
Du coup, je cherche encore un bon bouquin avec des dragons dedans (bien que je sente à ce sujet du potentiel dans un truc que je lis en ce moment…).
Sinon, pour une approche très différente et se prendre un énorme coup de poing dans la face, je conseille très très chaudement “Le Livre de Cendres” de Mary Gentle, qui a ce mérite de débuter comme un roman historique pour ensuite glisser sur… autre chose, mais avec une intelligence, une finesse et une érudition qui m’ont vraiment épatée.
Je range les écrits de cette très grande dame au même niveau que ceux de Glen Cook désormais. C’est dire….
4 De Llu -
Aah dommage pour “Le Cycle de Pern”. Du coup, je ne sais pas si je vais me lancer.
Je note pour Mary Gentle. Je veux me remettre à lire de la littérature et pas seulement des bouquins d’éco, rapports de la Commission, etc…
L’accouchement de ce billet fut long et douloureux alors ça me fait plaisir d’avoir un avis positif.
Merci :)